Prodiges et paroles
Des six poutres que j’emmenais jusqu’au ciel, alors que la lune clignait de la paupière, par un vent à décorner un bœuf, aucune ne fut perdue sur le chemin de croix, chaotique, serpentin, et dodeliné. La carriole cracha sa cargaison au frein à main. Trois le matin, trois l’après-midi, je portais ma croix, exténué, recroquevillé, abruti. Par six fois. Y a-t-il vraiment une raison à cela pour agir de la sorte à malmener son corps ? Je crois que oui. Il est vrai que j’aurais pu opter pour une transformation radicale des poutres en pieux, -mais l’impression que me donnait ce spectacle m’éloigna de cette éventualité, ou bien j’étais ce cadavre ambulant qu’on allait par un funeste transport empaler. Je disais donc qu’avant d’être fatigué de soi-même, avare en considérations, et répétitif, il s’agit de fatiguer son corps. Et je deviens cet être misérable à m’accabler ainsi, sans mesure aucune, à plaisir de poursuivre cette corvée qui n’en finit pas. Pour sûr, je voudrais réaliser des prodiges, ou à défaut inventer des machines facilitatrices -(je ne répète déjà plus que des gestes anciens, archaïques, désuets, tel ce mardi quand je lovais autour de mon bras un bel empilement de parefeuilles en morceaux)- comme une brouette électrique, ou un engin de levage (pas d’inquiétude c’est au programme, une de ces machines qu’a dessinée léonard de Vinci sur ses cahiers). Je me prenais à rêver de prodiges à usure de mes épaules et de mes chaussettes. A rêver, ça ne mange pas de pain. Bon. Je remarquais que ces rendez-vous du mardi ne m’avaient pas délié la langue, je ne me parle pas. C’est inaccoutumé. Et comme d’habitude, je peux me plaindre d’être privé de la parole, et de prodiges. Comme d’habitude, je suis dans la dépense, et la prodigalité. Bien à vous.